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VIVE LA MORT !

Louis Stein escalada quatre à quatre les marches du troisième étage du 36. Le big boss venait de lui passer un coup de bigot et le son de la voix du dirlo lui laissait redouter le pire. Elle était claire, douce, calme, avenante presque mielleuse, le calme avant la tempête. De directeur invita Stein, alors patron de la 5ème section, à prendre place dans le fauteuil de cuir qui faisait face à son bureau. Durant une longue minute le grand chef n'ouvrit pas la bouche. Stein phosphorait se doutant des raisons de cette invitation qui ne ressemblait pas, à priori, à l'annonce d'une éventuelle promotion mais sentait davantage la sévère remontée de bretelles.

- Alors Stein, l'équipe sanglante du tube, t'en est où ? Je ne te cache pas que j'ai la préfectance sur les reins...

Albert Glock et Louis se tutoyaient depuis toujours, ils s'étaient connus sur les bancs de l'école de police, mais ce détail de langage n'avait aucune incidence sur leurs rapports professionnels. Glock ne pardonnait rien à personne, Louis le savait.

- Je n'en doute pas Albert, tous mes gaziers sont sur le coup, je pense que je vais la sortir, elle est mûre.

- Tant mieux Louis, ces deux pourris qui tapent les greniers à fric à la porte des entrées du métro depuis trois mois ça finit par agacer. Et la cerise sur le gâteau c'est qu'ils n'hésitent pas à utiliser la sulfateuse, deux caissiers ad patres et une hirondelle bien amochée. Ce n'est plus tenable.


Malgré le ton de sa voix qui n'était pas monté d'un octave, le faciès de Glock se crispa. Il ne laissa même pas le temps ni l'opportunité à Stein d'avancer une répartie. Il ajouta, se penchant sur les documents posés sur son bureau, indiquant la porte de sortie à Stein :

- C'est bon Louis, je te laisse à tes occupations, moi j'ai les miennes. Tiens-moi au courant.

-

Prenant la porte, Le commissaire principal Stein savait à quoi s'en tenir, il espérait simplement que les tuyaux de Dacier ne soient pas percés.


L'inspecteur Gédéon Dacier n'était pas peu fier de l'info qu'il venait d'obtenir auprès de Maryline, cette greluche paumée qui turbinait sur les maréchaux. Comme il l'espérait depuis le marquant dernier, il l'avait poissée au poste lors d'une rafle nocturne la nuit dernière. C'était son truc à Dacier, essorer les gagneuses à cheval sur le fil du rasoir, coincées entre leur mac et la maison poulaga. Dans tous les cas il fallait qu'elles tombent, alors autant que ce soit du côté de la maison j't'arquepince.

Larges épaules, beau gosse aux yeux bleus, malicieux comme un renard des sables, vicieux comme un cobra royal de Da Nang, il possédait un don pour faire cracher les poulettes. Si ses collègues travaillent le client à la mandoline impitoyable, au bottin parisien immodéré, lui n'adhérait pas aux interrogatoires virant bloc opératoire jus de tomate. Raffiné il préférait la méthode verbale, douce mais perverse, celle qu'il réservait plutôt au sexe faible. Généralement Il ne laissait aucune chance d'échappatoire à la gigolette et, sans mettre de chaussettes à pognes, ne se salissait pas les griffes.

Quelques jours au préalable, Dacier avait repéré l'ambulante au bar du « Gios For Now », un rade de la rue Camille Flammarion que le daron, Jo Vert-de-gris, maquillait en tripot à partir de minuit. Dacier et sa fine équipe tiraient les rideaux sur ces magouilles récoltant le fruit de ces largesses en se laissant glisser régulièrement quelques indiscrétions très rentables pour le 36. Vautré au bar en compagnie de Maryline qu'il avait sérieusement branchée et amadouée avec plusieurs side-cars bien tassés qu'il ferait douiller par l'administration centrale en note de frais. Il poussa la conscience professionnelle à son paroxysme, feignant l'accident de comptoir. Toujours à la charge de Bercy, il lâcha deux pascals à la cambreuse avec qui il passa une nuit qu'il qualifia d'heures supplémentaires indispensables mais agréables. Gédéon n'avait jamais rechigné à la tâche.

A l'heure des croissants Dacier avait rentabilisé son investissement, Maryline lui avait lâché le morcif, au propre comme au figuré, elle était à la coule. Un coup de chasse sur sa tocante, six heures. Il chopa son fute qu'il portait toujours sans calcif, une habitongue de vieux mataf, de gnard pressé sans doute, et l'enfila bessif. Moins de dix broques plus tard il déboulait dans le burlingue du taulier Dacier pour lui balancer la sauce. Il suffisait maintenant de serrer la belle mécanique et de lui faire le poil pour qu'elle les rencarde dès qu'elle esgourderait l'info. Comme par hasard, le lendemain matin Maryline faisait partie de la charrette de pouffes emballées par le panier à salade. Dacier la travailla au corps en spécialiste et la gagneuse habituée de la position horizontale s'allongea autrement.


Stein émergea du tube, la gueule en biais, il arracha le ticket jaune composté qu'il avait l'habitude de glisser entre son doigt et son alliance de jonc et le balança nerveusement sur le trottoir déjà jonché d'immondices. Les bouscailleur n'étaient pas matinaux dans le vingtième. Le boss préférait circuler en bus, debout sur la plate forme arrière il ne se lassait jamais de regarder vivre Paname. Mais ce matin il avait choisi le métro, hors de question d'avoir du retard à l'allumage à cause des embouteillages matinaux. Il était descendu à la station Jourdain plutôt qu'à Gambetta, plus proche de son lieu de rendez-vous, évitant ainsi un changement. Mais à vrai dire ce n'était pas vraiment pour cette raison qu'il rallongeait sensiblement son chemin. Il avait encore le temps et la nostalgie le travaillait parfois.

Après quelques mètres parcourus rue des Pyrénées il s'emmancha dans la rue Olivier Métra et sa mémoire lui fit oublier le présent. Sur sa gauche il regarda la porte massive de l'école maternelle qu'il avait fréquentée gamin. Le magasin de friandises qui jouxtait l'entrée de l'établissement avait disparu depuis belle lurette, remplacé par une banque. Il ne gardait que peu de souvenirs de sa jeunesse mais paradoxalement, de cette période il n' avait rien oublié. Des bribes du passé remontaient comme des bulles de méthane à la surface d'un lac et explosaient dans son cerveau. Julot, son poteau avec lequel il avait fait les quatre cents coups et même pire jusqu'à ce que le service militaire les sépare. Malgré toutes leurs conneries d'adolescents inconscients dans ces arrondissements populaires du vingtième et dix-huitième, aujourd'hui il bossait pour la maison Royco, sans doute un miracle. Miracle de ne s'être jamais fait gauler sans doute.

Classe 53, pas de bol, direction l'Indo pour les deux jeunots qui avaient tracé la rizière main dans la main : « Vive la mort ! » qu'il brayait le Julot et lui quand tous deux partaient en opé la mat 49 en bandoulière, sac au dos, dans l'eau crasseuse jusqu'à la taille, sans certitude du lendemain. A leur retour à Paname Julot vomissait l'armée, il avait filé dans le civil. C'est à compter de cette période que Louis avait perdu Julot de vue, dommage. Lui, les paras c'était son truc, il avait persévéré, premier jus, cabot, Dien Bien Phu, retour à la maison un peu abîmé mais en un seul morceau. Stein avait ensuite remis ça, lieutenant, capitaine en 62 dans le djebel, en rentrant il avait opté pour la rousse qui lui tendait les bras. Il y pensait souvent à Julot, un mec de première bourre qui en avait dans le calbut, un pote sur qui tu pouvais toujours compter. Un souvenir qui le rendait tout à la fois triste et heureux, et puis « Vive la mort ! » ce dit-il souriant et reprenant le cours de sa vie.

Sept heures quarante cinq, il s'engagea rue Pixérécourt pour ensuite descendre par la rue de la Chine, et enfin rue Orfila. Jetant un coup de chasses furtivement par dessus son épaule, il s'assura que personne ne le suivait. La pluie tombait finement, une espèce de bruine d'août, presque chaude, un peu comme à Hanoï pensa-t-il. Débouchant rue des Pyrénées il tomba nez à nez avec le bistrot à l'enseigne « Chez Mimile ». C'était là. Il remarqua immédiatement les deux perdreaux de son usine en chouf. Leclerc se trouvait un peu plus haut dans l'entrée du cinéma, Daroussin, le rebelle, appuyé à une pissotière, lisant négligemment un baveux, « l’Huma ». Avec leurs bitos en feutre gris enfoncés jusqu'aux feuilles et leurs imperméables beiges les deux bédis ne trompaient personne, il ne leur manquait qu'un petit gyro bleu sur leur bada.

Putain d'endoffés pensa Stein, pour se faire repérer y-a pas mieux. Le premier

arcan venu les détronche à cent mètres, c'est la crème qu'ils m'ont refilé cette année à la DPJ. Avec des marioles pareils comme adjoints si tu tombes sur des méchants clients enfouraillés, t'es bon pour la boîte à dominos à coup sûr mon gars. La sueur lui coula dans le dos.


A cette heure matinale ça ne se bousculait pas à l'intérieur du rade. Deux amoureux venaient de commander deux p'tits dej' qu'ils regardaient refroidir en se lorgnant dans le blanc des yeux. A la table d'à côté un rond de cuir s'envoyait un petit noir, son cartable d'écolier studieux déposé contre sa chaise. Derrière le bar, un loufiat d'une trentaine d'années, la papier maïs collée aux lèvres, dans le coltar, à moitié réveillé, nettoyait la machine à café avec application sans se préoccuper de sa clientèle. Le juke-box dégueulais en boucle une chanson de Rina Kéty, j'attendrai...

J'attendrai, c'est ce qu'avait l'air de faire un clille perché sur un tabouret, s'offrant en solitaire une partie de quat' vingt et un. Le gus, plutôt élégamment vêtu d'un costard bleu à rayures de belle facture tenait près de lui, posé un siège, un imperméable gris soigneusement plié. Il s'était placé dans le coin droit du troquet, sa partie la plus sombre, face à la glace située à l'arrière du comptoir. Il pouvait ainsi observer l'entrée sans se retourner. A intervalles réguliers, l'air inquiet il biglait les mouvements de l'entrée, consultant sa tocante. Un observateur avisé aurait pu constater qu'il transpirait légèrement malgré la température plutôt fraîche du bistrot.


Il ne le savait pas mais l'élégant pouvait attendre longtemps, son comparse avait été serré par l'équipe de Stein, dans son pieu à six plombes au 69 rue des abbesses, lâchement vendu par Maryline. D'un serbillon Stein indiqua aux deux inspecteurs en planque de se placer à l'entrée du troquet. L'un d'entre eux entra dans le rade avec lui pour alpaguer le braqueur.

En entrant dans café, le joueur de dés un vieux briscard de la truande avait facilement remarqué le manège des deux flics en chouf pas très finauds. Dès cet instant il gambergea. Son pote n'avait jamais de retard, il savait qu'il s'était fait doubler. Si les flics l'argantaient il y allait du cigare après un long séjour au petit château. La zonzon, il s'était juré qu'il n'y retournerait jamais, jamais, mais avant de claboter il ferait du dégât dans les rangs de la poulaille, tant à crever il ne se laisserait pas dessouder comme un veau, un dernier plaisir bordel !

En hurlant Stein poussa violemment la porte, mac 50 en pogne. De stupeur son cri s'étouffa au fond de sa gorge, le client du bar venait de se retourner tenant un luger dans sa cuiller, son regard ne laissait aucune doute sur ses intentions, mais c'était l'arme qui retenait l'attention de Louis. Par réflexe et instinct de conservation Stein appuya à deux reprises sur la queue de détente. L'homme chuta lourdement à ses pieds, sa face frappant violemment le carrelage. Un liquide carmin éclaboussa les pompes cirées de Louis. Le commissaire principal s'agenouilla, prenant dans ses mains la tête du presque calanché. Il tenta de l'asseoir et de le réconforter :

- Tiens le coup les secours arrivent.


Le truand esquissa un faible sourire et une seconde avant de fermer définitivement ses falots bleus d'azur articula faiblement :

- « Vive la mort ».




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