Les vagues étaient énormes et quelques centaines de mètres plus au sud elles cassaient violemment contre les rochers. Il plongea dans l’écume au même endroit où il s’était jeté plus de trente ans auparavant, là où il avait commencé à ramer contre le courant. Tout en gagnant le large à plat ventre sur son semi gun (Planche extrême, très longue, destinée au surf de très grosses vagues) il se remémorait sa mésaventure de néophyte :
En cette fin d’après midi du mois de septembre, Xabi pensait bien maîtriser toutes les ficelles de ce merveilleux sport de glisse. Quatre leçons à l’école de Jo lui suffisaient. Jo était le meilleur dans ce domaine, Jo Moraiz bien sûr. Xabi allait s’inscrire au Lacanau Pro, il en avait les moyens, encore un poil de pratique et il serait prêt, il en était persuadé.
Les vagues étaient « tip top », juste comme il fallait, presque comme aujourd’hui. Il se jeta à l’eau sur la planche d’occase dans laquelle il avait investi toutes ses économies. Juste un peu lourde, juste un peu longue, juste un peu vieille, juste…. Le roi n’était pas son cousin, il avait sa planche et enfin il allait se tester.
Tout d’abord il eut un peu de mal pour gagner le large. Il essaya bien de faire le canard, (Plonger sous l’eau avec la planche pour franchir les vagues) chose qu’il savait pourtant bien faire au bahut, mais là face à l’Atlantique, c’était une autre paire de manche. Au bout de quelques minutes, non je me trompe, une heure, peut être deux il réussit à prendre une vague à cinquante mètres du bord. Il allait s’offrir un super décollage, un take-off (Le take-off consiste à démarrer sur une vague) mémorable, pourvu qu’il y ait des spectateurs sur la corniche pour admirer son style.
En fait c’est une autre figure qu’il exécuta, un magnifique air-drop (surfer peut se retrouver temporairement dans le vide) digne du champion du monde , les mains sur la planche, la tête en bas, les pieds en l’air type « poirier », du magistral je vous dit de l’incroyable, phénoménal, spectaculaire, original et surtout totalement involontaire.
A l’arrivée gamelle du siècle, machine à laver (Se faire rouler sous l’eau par la force de la vague sans povoir remonter) assurée, lavage, essorage, nettoyé le Xabi, plus blanc que blanc.
Mais c’est ça qu’ils aiment les spectateurs de la corniche, les petits vieux avec leur canne, toute la journée ils en attendent des comme ça, et ça n’arrive pas souvent. Alors quand ça arrive, ils se le surveillent ce champion, et ils se marrent, ils rigolent. « Tè, diou biban, encore un « parisien » qui vient d’arriver ! ».
Xabi sur ce coup il avait ramassé grave, heureusement il aimait l’eau, l’eau de mer surtout. Mais il y avait des limites. Une tasse passe encore, un verre c’est un peu salé mais trois litres il commençait à saturer sérieux. Il pensa in petto, voire sans délai, immédiatement et peut-être même avant, à regagner le bord afin de parfaire ses connaissances dans la manière de se tenir debout sur un bout de bois.
Et c’est à cet instant qu’il ressentit un énorme, immense moment de solitude. Ramer à contre courant, c’est bien ce qui l’attendait. En effet le courant le portait maintenant vers le large. L’océan c’est un petit malin, il faut bien le connaître, l’apprivoiser, il n’aime pas qu’on lui tienne tête. Mais Xabi c’est un petit gars du Sud-Ouest, un têtu, un obstiné, un cabochard, un Basque.
En fait le principe de ce sport d’athlète, c’est de se laisser porter par le courant au large, le courant parcourt un genre de circuit qui ensuite te ramène vers le bord. Jo lui avait bien expliqué à Xabi, mais Xabi c’est un costeau, un basque, tout droit toujours tout droit, ramer c’est comme chanter, le principe de base est le même, fort et longtemps. Là il était servi le garçon.
Et Xabi se mit à ramer vers les rochers, plus il ramait moins il avançait, toujours à contre courant, comme disent les chtimis, « Plus il pédalo, moins il avanço ».
Tout puissant et musclé qu’il était Xabi, il sentait que ses forces allaient l’abandonner, il allait craquer, pourtant il y était presque, plus que quelques mètres.
Le canard, faire le canard. Il plongea la tête sous l’eau, la planche fixée à la cheville par le leach, (cordon qui relie le pied du surfeur au bout de sa planche) et il s’agrippa aux rochers du fond. Un véritable exploit, vingt mille lieues sous les mers, surfeur sous l’eau, une nouvelle discipline à exploiter.
Dans un dernier effort titanesque, rampant au fond de l’eau, il avançait centimètre par centimètre, enfin il avait pied et se levait sortant de l’eau comme un diable de sa boîte, les poumons prêts à exploser.
Comme il l’avait imaginé dans ses rêves, magnifique sur son gun, effectuant un « aerial » (Manœuvre qui consiste à utiliser la lèvre de la vague comme tremplin pour effectuer un saut) de folie, libre dans les airs, après un cut-back (Virage qui ramène le surfeur vers le point de déferlement de la vague, l'intérieur, pour y reprendre vitesse et énergie) exécuté de main de maître, il triomphait face à son public massé sur la corniche. Mais là il ne rêvait plus Xabi, il cauchemardait tout éveillé.
Le public était bien là, massé sur la corniche applaudissant l’exploit, car c’était un exploit, il avait rejoint le bord à contre courant, la foule était hilare, les petits vieux agitaient les bérets en signe de joie. Ils réclamaient les deux oreilles et peut-être même la queue
Xabi sentait bien qu’il avait la vocation, il lui manquait simplement un peu de pratique.
Aujourd’hui, quelques dizaines d’années plus tard il se souvenait encore de son exploit. Depuis il avait bien progressé et se faisait plaisir chaque fois qu’il pouvait profiter de l’océan. Il avait d’ailleurs donné le virus à sa fille Lou. Elle venait de remporter une manche de la coupe du monde à Hawai, la mecque des surfeurs.
Il était vingt heures passées quand Xabi regagna son 4X4, fourbu mais heureux. Il savait qu’il allait encore une fois ramer à contre courant. Il garderait son poste à Biarritz jusqu’au terme de sa carrière. Il avait choisi.
Ramer à contre courant peut-être, mais il préférait, du haut de son bureau Biarrot admirer la baie de Saint Jean de Luz et les contreforts des Pyrénées, plutôt que la tour Montparnasse. La Seine est bien jolie mais il n’y a même pas le moindre petit mascaret. (Vague qui remonte le fleuve à contre-courant).
Il avait encore de belles années devant lui Xabi, à contre courant sans doute, mais c’est comme ça qu’il aimait vivre et debout sur sa planche Front-Side ! (Surfeur face à la vague)
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