C’est l’histoire courte d’un type sympa mais égoïste qui réchappe à un infarctus. Cet accident réveille sa conscience. Ce miraculé c’est peut-être moi…ou vous ?
Jean, très sociable, bon vivant apprécie la solitude et les longues sorties à vélo dans ses Landes natales. Ses forêts de pins, sa côte atlantique, ses dunes, un univers auquel il tient particulièrement. Chanter boire et manger, vivre, toute une philosophie. Ce garçon n'est pas un expansif, hormis quelques vrais amis il ne demande rien d'autre.
Le toubib lui a dit de lever un peu le pied mais il a du mal. Après tout nous sommes tous mortels, aujourd'hui, demain, un autre jour, le tout c'est de profiter de la vie. Certes il monte avec difficulté les petites bosses qui mènent à l’océan, un quintal ça ne se bouge pas comme ça. Une petite sortie à vélo de temps en temps ça ne fait de mal à personne.
Jean s'était immobilisé, il prenait souvent plaisir à écouter le silence, enfin pas tout à fait le silence, plus exactement un genre de battement, en l'absence de tout autre bruit. Il entendait ce son, un petit coup légèrement étouffé, parfois rapide et irrégulier, parfois lent et rythmé. Ce son, non ces sons, il en percevait deux qui résonnaient comme ceux d'une balle de ping-pong sur une table, ping, pong, ping pong.
Il habitait bien dans cette petite balle blanche en celluloïd, ronde, enfin presque ronde. Au début, tout au début elle présentait une forme parfaite, exactement sphérique. Avec le temps et les accidents de la vie quelques sauvetages douloureux à l'eau bouillante lui furent nécessaires. Dans la souffrance elle s'était peu à peu humanisée et avait pris la forme bizarre d'un cœur.
Lui, de l’intérieur sentait le changement, la douceur des amortis, la rapidité des lifts, tout était un peu différent. Depuis plus rien ne suivait la logique, il vivait l'inattendu, l'imprévisible. Jean aimait se faire surprendre, au stade Maurice-Boyau le rebond déroutant du ballon ovale le ravissait, le ballon rond l'ennuyait.
Il était tout petit Jean, tout petit-petit, mais heureux dans sa balle, tellement heureux que peut-être en oubliait-il sa petite famille, Maryse son épouse, Louis et Marie ses enfants. Il s'était habitué à cet espace réduit, tellement habitué qu’aujourd'hui il ne pouvait vivre ailleurs.
Il s'adonnait à sa passion favorite, le vélo et tournait dans sa balle en parcourant les longues lignes droites des routes landaises, seul, égoïstement heureux.
La face de l'homme en blanc se confondait avec le celluloïd de même couleur. Il n'en discernait qu'une partie, un genre de bonnet immaculé en dissimulait le haut. Le bas disparaissait sous une sorte de masque. L’impressionnante silhouette du praticien traversait la pellicule translucide en matière plastique.
Il ne comprit pas complètement le message, mais il en saisit tout de même le sens profond.
Jean écoutait encore ce petit battement régulier, doux, comme une caresse, peut-être son coeur. Il ne se sentait pas bien, il fallait qu'il sorte à tout prix de cette bulle. Sa balle très légère en celluloïd, très fragile, plus fragile qu’une bulle de savon roulait sur le carrelage. Pourvu que personne ne marche dessus, son épouse, ses enfants, il était angoissé, sortir, sortir très vite et changer d'espace.
Je l'ai aperçu la semaine dernière Jean au guidon de son Time carbone sur une piste cyclable du côté de Mimizan. Il s'y rend souvent avec son épouse et ses enfants pour y passer la journée. Il profite de la vie qu'il partage tant qu'il le peut avec ses amis et surtout avec sa famille. Sans doute que c'est ça penser aux autres, la vie sans balle s’emballe.
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