Raoul allait « péter un câble », il ne voyait aucune solution à son problème, il sentait venir le mur de plein fouet. Pourtant il aurait dû être heureux : carrière professionnelle enviable, épouse charmante, demeure de luxe, véhicule de sport, tout, il avait tout. Toutefois il ne supportait plus cette vie. Il était coincé, cerné, prisonnier. En fait il n’avait plus aucun pouvoir décisionnel.
A la maison sa femme, toujours sur son dos, au boulot c’était le boss, dans sa voiture même le GPS ne lui laissait pas le choix. L’étau se refermait sur sa personne chaque jour davantage. Quelque décision qu’il prenne était sujette à caution. Sans cesse il devait composer, adapter, ajuster, souvent renoncer, il n’en pouvait plus. Tous les jours un pan de sa personne était arraché douloureusement. Il ne se reconnaissait plus, il était un autre……En plus il avait grossi et son taux de cholestérol frisait des valeurs proches du record mondial de la spécialité.
Ce fut ce fameux samedi après-midi de juillet que tout bascula. Le déclic avait été provoqué par l’arrivée du Tour de France dans sa ville, disons son village. Un événement exceptionnel, le 24 juillet 2001. Rik Verbrugghe remportait le sprint final sur la ligne, dans le Tarn à Lavaur.
Le spectacle l’avait conquis, ces drôles de terriens sur leurs drôles de machines, il fallait qu’il essaie. Avant tout, c’est cette impression de liberté qui l’avait conquis, des hommes libres et virevoltants, maîtres de leur destin.
Il y était donc venu au vélo par hasard Raoul, à l’heure où certains abandonnent le sport, lui, plutôt apéro, olives et « plateau-télé » avait eu envie d’autre chose. Equipé comme un professionnel, il constatait les bienfaits de cette activité de plein air. Son état de santé s’améliorait rapidement. A la lecture des résultats de ses analyses le médecin avait crié au miracle, immédiatement rédigé une note à l’attention de l’antenne du Centre recherches médecine (CERMES) mondialement connu de Giroussens, commune fameuse pour ses poteries. Pour un peu il aurait avalé son stéthoscope le toubib.
Il prenait tellement de plaisir, Raoul, qu’il avait même convaincu Gaspard son ami d’enfance de partager sa passion. Gaspard était comme lui, il rencontrait les mêmes problèmes de société. Il s’étiolait, se refermait comme une huître au fil du temps. Il était étouffé par la personnalité, la présence permanente de son patron, de ses collègues, de son épouse. Son épouse à Gaspard, son épouse, son épouse, surtout son épouse, il n’en pouvait plus, au secours……Heureusement il y avait le vélo et ces longues sorties avec Raoul.
Raoul écoutait le bruit de ses roues carbone sur l’asphalte lisse. Un bruit doux et régulier qui lui donnait une impression de vitesse, de puissance, de liberté. Les mains en bas du cintre il tournait les jambes, sans effort, il respirait à pleins poumons. Du coin de l’œil il surveillait son compteur. Il maîtrisait son rythme cardiaque et ne dépassait pas la limite supérieure programmée sur son cardio-fréquencemètre. A cet instant rien ne pouvait le perturber. Aucune pensée ne traversait ses méninges, rien, son corps voyageait tout simplement. Son esprit était ailleurs, il le retrouverait plus tard, il n’était pas pressé. Sur cette petite route sinueuse, verte, fleurie, il était seul au monde, un enchantement.
Raoul ralluma ses neurones, il pensa à son ami. Depuis quelques temps Gaspard ne l’accompagnait plus, il eut un pincement au cœur il avait de la peine. Il filait un mauvais coton Gaspard, qu’allait-t-il devenir. La vie, trop courte est parfois cruelle. Raoul ne voyait qu’une issue funeste à la situation. Une petite larme coulait le long de sa joue, doucement, il était triste, très triste. Pauvre Gaspard, il n’avait vraiment pas de chance, le sort s’était acharné sur lui.
Sa femme avait acheté un tandem.
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