Russe, rousse et rosse, par Maxbarteam
Le nom de Maxbarteam, sur la couverture de ce roman policier nous étonne déjà. Il évoque une bande de copains sur leurs tabourets de bar. On l’imagine, lui, l’auteur entouré de ses potes : il leur en raconte une bien bonne. La franche amitié ! Et ça rit aux larmes. Parfois ça pleure aussi. Comme ce Lou Leister, capitaine de police bien dans sa tête souvent un peu trop pleine de désastres juridico-administratifs.
Sans compter Irina Laroslav, qui nous est présentée comme une écrivaine slave libérée, brûlant la vie « par les deux bouts sans tabou ». Elle se dit un peu macho, enfin macha, corrige-t-elle.
Irina conçoit « une grande admiration pour les femmes au foyer, » mais pas du tout comme Landru, autant le dire. Si son idéal humaniste se réalisait, l’État devrait leur verser un salaire, primes de fin d’année, congés payés, avantages sociaux, tiens, alignés sur les privilèges des sénateurs. »
Le narrateur ne résiste pas à la tentation de nous révéler qu’elle ne porte pas… de culotte. Bon ! Le récit qui suit vole plus haut que cela…
Les monologues indiquent au lecteur le chemin. Et quel chemin ! Pavé d’embûches, de controverses et de revirements, il se transforme très vite en voie étroite au point qu’on finirait par croire qu’il ne sert plus à rien de chercher des coupables parce que tout le monde l’est. Mais ce n’est pas ça non plus ! Décidément, Maxbarteam a sacrément besoin d’esprits éclairés pour démêler ce sac de nœuds.
Le théâtre grandguignolesque peuplé de personnages interlopes met en scène un avocat, une nymphomane, de louches motards. Et pour surveiller tout ce petit monde depuis un commissariat bordelais, un capitaine de police aux ordres d’un commissaire retors : « un mec qui nage comme un squale ». Et il y a aussi ce clan étrange, les Stanglers, à deux doigts et un seul ‘r’ d’être des étrangleurs (stranglers). Prostitution, échangisme et corruption sont les terrains de jeu où le crime prospère ici. Mais qui donc est le démiurge de cet écheveau de perversions ?
Irina Laroslav se dit très fière de deux qualités qu’elle se reconnaît : elle est Slave et rousse. Chauffeure occasionnelle d’un bahut de livraison, elle semble piloter bien davantage. Pas certaine de pouvoir réaliser son rêve, elle se l’est fait tatouer sur le bras : « un homme de l’Ouest américain, qui déborderait de testostérone, qui porterait le Stetson, le colt 45 et une étoile sur la poitrine. »
Si vous connaissez quelqu’un…
Maxbarteam vous invite au fil du récit à visiter sa galerie personnelle de sales types. Et plus ce sont des sales gueules, plus ils sont beaux à voir : c’est ça le paradoxe du polar.
Redoutablement efficace, l’auteur ! Nous avions beaucoup aimé La cure arrive à terme. Là, avec cette « fourmilière d’êtres malsains, » il se dépasse.
Son art consommé du dialogue donne toute sa dynamique au roman. Pas étonnant que l’on tombe sur une remarque qui le confirme : « J’aime écrire des polars qui tiennent la route. » En mettant cette phrase dans la bouche de son personnage, l’auteur signe aussi sa déclaration d’intention. On pourrait lui demander dans un second temps d’expliciter ce que veut dire selon lui tenir la route pour un roman policier. Pas besoin. Il suffit de prendre plaisir à lire Russe, rousse et rosse.
Reste que son amour du genre est lisible sur chaque page. Avec des interrogations qui mettent le lecteur à contribution, Maxbarteam lui imprime son mouvement sur les traces du crime.
Le social n’est guère éloigné. Son Lou Leister parfois s’apitoie ou s’attendrit sur le monde du travail. Assis au fond d’un troquet, il les admire : « Cinq ou six ouvriers qui turbinent en trois huit sur le chantier maritime proche, reconnaissables à leurs tenues identiques, discutent bruyamment, les rires et éclats de voix fusent »
Ce cher capitaine de police en conclut qu’ils mènent « Une vie pas toujours simple, mais quelle richesse ! » Pourtant l’homme n’est pas un rêveur, conscient qu’il est de la réalité dans laquelle il exerce son métier.
Leister n’est guère sujet aux illusions. Le narrateur le dit « fier d’exercer cette difficile profession au service de la société, du public qui aime sa police… qui l’aime trois ou quatre jours par an après un attentat meurtrier ou une catastrophe naturelle » De quoi nous rendre un peu honteux…
Il lui arrive de s’épancher. « Son boulot lui bouffe la vie » Il mène autant de luttes externes — contre la criminalité — qu’internes, contre le manque de matériel, contre « les décisions iniques et récurrentes du commandement. »
Ce roman ne lésine pas sur les bons portraits à l’eau forte. Belle démonstration d’une aisance permanente d’un travail persévérant.
Dans son texte ornementé de juste ce qu’il faut d’argot, l’auteur manie un entrelacs de formes et une pluralité de rôles tels, qu’ils concourent à une vraie solidité d’ensemble.
La terrible frustration du chroniqueur, sachez-le cher lecteur, c’est de ne jamais pouvoir raconter la fin d’un roman policier. Surtout quand il y a prouesse. Comme ici.
Parti comme il l’est, cet auteur n’a pas fini de nous surprendre. Il a pour sûr bien d’autres efficaces munitions dans son holster littéraire — et nous savons maintenant qu’il ne tire qu’à bon escient.
Pierre-Jean Brassac
Russe, rousse et rosse, Maxbarteam, coll. Du noir au sud, Éditions Cairn, 376 pages, 11,50 €
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