La cure arrive À terme,
par l’auteur Maxbarteam.
L’un des premiers tableaux du roman de Maxbarteam vous convie à une partie de poker, dans une ambiance bourgeoise et feutrée à la Dostoïevski, mais bien d’aujourd’hui.
Puis c’est le drame et le corps sans vie de l’un des joueurs, le docteur Étienne de la Viguerie-Tursan, médecin au centre de cure Les Lazaristes, à Dax. Qui dira s’il s’est vraiment suicidé ?
Gendarme à la retraite l’auteur de La cure arrive à terme plante un décor que vous reconnaîtrez : celui d’une ville thermale du Sud-Ouest. Tout un petit monde de curistes et de soignants… Maxbarteam nous présente les protagonistes avec un art consommé du portrait. On se délecte particulièrement de celui qu’il brosse de Simon Geloux au chapitre 6. Ses personnages cultivent presque tous un humour de bon aloi, surtout ces deux héros que sont les enquêteurs Marcel et Morgan. L’auteur n’est pas en reste quand il juge un informateur improvisé « excité comme un Béarnais au salon du béret ».
Une cascade de bons mots anime tout l’ouvrage. Seconds degrés, formules à l’emporte-pièce, expressions savoureuses… Et aussi du sérieux et de la rigueur que condimentent sourires et facéties, parfois en présence d’un personnage « remonté comme une comtoise ».
Les ‘trois D’ d’une écriture dense, dynamique et divertissante.
Pour élaborer les hypothèses de l’enquête tout au long de son chemin narratif, l’auteur creuse, approfondit, envisage sans jamais se hâter. Jamais on ne s’ennuie. Sa description anatomique du crime, minutieuse et progressive, éclaire d’abord tout le champ des possibles, et ce jusqu’à l’implacable vérité qui s’imposera au terme de rebondissements aussi peu attendus que leur cause est vraisemblable. Vous direz que c’est le principe même du roman policier… Certes. Pourtant tous les textes ne parviennent pas, tant s’en faut, à ce degré de vitalité stylistique, qui évite toute digression pour se concentrer sur les faits, dont on sait bien qu’ils sont têtus et parlent d’eux-mêmes…
Malgré la découverte d’un suicidé et le soupçon de meurtre assorti de magouilles ‘collatérales’, nos deux enquêteurs ont le devoir de naviguer entre mensonges, affabulations et duplicité, sans dévier jamais de leur but, malgré la déroutante multiplicité des suspects qui croisent et invalident leurs hypothèses tous-azimuts.
Raillerie et langage courant souvent fleuri.
La densité du récit provient notamment de la profusion d’observations et de précisions que nous rapporte l’auteur aidé de ses deux compères romanesques. Pour plaisant qu’il soit, amusant même par endroits, le roman atteste à chaque page de l’entier dévouement des enquêteurs à la cause de la justice. Et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Tant il est vrai que l’on n’arrête pas le cogito à heures fixes. Quand la pensée se met en quête, elle ne connaît pas le repos : elle doit trouver et faire cesser l’énigme.
Le lecteur pourra sourire en pensant que l’auteur du roman, non content d’avoir vécu sous une telle pression pendant sa carrière de gendarme, s’inflige volontairement ce même sort pendant sa retraite. Car la conduite d’un tel projet d’écriture mobilise évidemment les pensées à toute heure.
Le texte de Maxbarteam, adroitement poli et policé, vise en premier lieu, non pas tant à identifier le coupable, qu’à créer un décor, à faire vivre des personnages, des caractères, et à recueillir le plus d’informations possible, à ne rien laisser au hasard jusqu’à la conclusion libératrice, d’où surgira la délivrance des deux enquêteurs (presque) d’elle-même. Ces tiraillements incessants entre le vrai et le faux, ainsi que toutes leurs nuances intermédiaires, finissent par asseoir la fiction dans un monde réaliste, humain trop humain, et parfaitement habitable pour le lecteur.
On aime ce langage bon enfant, voire un brin argotique, sceptique aussi. Sans compter les platitudes entre collègues, du genre « ça roule ma poule », qui aident à conserver le moral tout en illustrant une part de routine.
Dans cette Gascogne du roman, on ne saurait passer sous silence ni son génie gastronomique, ni les prouesses de ses courses landaises, encore moins les fièvres qu’engendre par ici le jeu du ballon ovale.
Morgan et Marcel ont beau se soucier constamment des progrès de leur délicate enquête, l’hédonisme et les trésors culturels de leur région sont sujets fort sérieux aussi. C’est pourquoi, au fil de son ouvrage, Maxbarteam nous sert tant de plats exquis, nous cite des noms de restaurants, de vignerons et de grandes appellations. En matière de vocabulaire local, nos deux épicuriens n’ont pas leur langue dans leur poche et nous familiarisent, si besoin était, avec la joliesse du lexique béarnais.
Le lyrisme est dans l’assiette
Si les temps gourmands abondent, de chapitre en chapitre, c’est qu’il faut bien se restaurer. Même si la tension et l’urgence de l’enquête poussent davantage au jambon-beurre qu’à un cassoulet au confit de canard. Pour ne rien dire du « poulet cou nu élevé au grain » qui, pour un officier de police judiciaire en pleine investigation, restera un inaccessible sommet gustatif.
Culturel en diable, le décor landais de ce roman, pardon, de ce polar ! Car après tout il n’est écrit nulle part que c’est un roman.
Les défenseurs des oiseaux ne comptent, pas plus que les journalistes, parmi les favoris de la brigade. Un certain Labour-Bongrain horripile les chasseurs de palombes dans ce pays où l’on ferme les yeux sur certaines piégeuses pratiques. Tiens, il fait penser à quelqu’un…
La vie quotidienne du gendarme
Ce roman réaliste et minutieux, s’apparente à un certain néonaturalisme littéraire. Cela ne concerne pas seulement le quotidien des enquêteurs que l’on voit « vivre gendarmerie 24 heures sur 24 ».
On relève des traces et quelques empreintes du vieil antagonisme entre magistrature et gendarmerie. Antagonisme qui ne s’oppose en rien à l’esprit de justice. Maxbarteam l’exprime ainsi : « En matière judiciaire, le procureur règne en maître et l’officier de police judiciaire doit exécuter ses décisions, c’est la règle. »
Il n’empêche que l’une des nombreuses scènes de bravoure du livre consiste en une revanche physique et symbolique qui épatera le lecteur.
D’ailleurs, ce texte tout entier forme un vivant catalogue des pratiques de l’enquêteur, de ses ficelles, de sa méthode, des étapes de son enquête, de sa déontologie et de son rapport à la hiérarchie. En ce sens, le sous-titre de Vie quotidienne de l’officier de police judiciaire au XXIe siècle ne lui messiérait pas.
De la maestria de l’enquêteur
Dès son crime commis, le coupable voit le monde autour de lui se recouvrir de neige : il y laissera forcément des empreintes, des traces. Toute la virtuosité de l’enquêteur consiste à découvrir même le plus ténu, le plus infime des indices, matériels ou non. Le talent de l’auteur d’un roman policier consiste à savoir jouer presque indéfiniment de cette donnée. Et bien sûr, les non-coupables aussi sèment le doute et peuvent fabriquer de faux indices sans le savoir.
Maxbarteam nous fait assister à d’exaltants rebondissements, tout en offrant régulièrement au lecteur une synthèse de l’avancement de l’enquête. Du coup, ayant en main les trois cent trente et une pages de La cure arrive à terme, nous sentons justement que, à égalité avec les gendarmes Morgan et Marcel de l’histoire, nous ne sommes pas encore au bout de notre peine, entendez de notre plaisir de lecture.
Ce roman, qui tient du journal de bord, offre la netteté d’une perspective d’ensemble sur le mode de vie et le tempérament des protagonistes, ainsi que sur les paysages mentaux et naturels de l’enquête conduite par les deux hommes de la brigade de Dax, peu avares de déplacements en Clio, leur muse, sans doute…
Leur tâche est de taille : il faut lire et relire les centaines de notes et de documents qui se sont accumulées. Surtout ne pas se laisser emporter par le torrent des suspicions : tels galets que l’on croyait coupables ne le sont pas. Pourtant, il faut absolument formuler de multiples hypothèses, et se saisir âprement de chacune. Les enquêteurs sont des chercheurs. Tout sera vérifié, soupesé à l’aune de la raison, du plausible, c’est-à-dire de l’unique mobile qui écartera tous les autres pourtant tout aussi vraisemblables.
Pierre-Jean Brassac
Maxbarteam, La cure arrive à terme, collection du Noir au Sud, Éditions Cairn, 331 pages, 11,50 €.
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